C’est la journée décisive de la Révolution de Novembre. Devant la défaite imminente du Reich allemand, le chancelier Max von Baden, en poste depuis quelques semaines seulement, annonce lui-même l’abdication de l’empereur Guillaume II et confie la chancellerie au social-démocrate Friedrich Ebert. Depuis une fenêtre du bâtiment du Reichstag, un autre social-démocrate, Philipp Scheidemann, proclame la « République allemande ».

Samedi, 9 novembre 1918. L’après-midi vers une heure, j’ai traversé le parc du Tiergarten vers la porte de Brandebourg, on distribuait justement des tracts au sujet de l’abdication. Un cortège de manifestants est passé sous la porte, je les ai rejoints. Un vieil invalide s’est approché du cortège et a lancé : « Ebert est chancelier ! Faites passer ! ». Attroupement devant le Reichstag. A une fenêtre, Scheidemann a proclamé la République. (…)
Puis retour vers Unter den Linden. Un camion plein de matelots et de soldats. Des drapeaux rouges. Derrière la porte de Brandebourg, j’ai vu la relève de la garde. J’ai suivi la foule jusqu’à la Wilhelmstraße, puis encore un peu plus loin.
J’ai vu des soldats arracher leur cocarde et la jeter au sol en riant. Voilà, c’est devenu réalité. On vit les choses, mais on a peine à y croire. Je n’arrête pas de penser à Peter. Je crois que s’il était en vie, il ferait de même. Et il arracherait lui aussi sa cocarde. Mais il ne vit plus, et la dernière fois que je l’ai vu, il n’avait jamais été aussi beau, il portait un bonnet avec une cocarde, son visage rayonnait. Je n’arrive pas à penser à lui autrement.